vendredi 11 mai 2007

Déjà la fin

11 mai 2007 - Les maux de la fin.

Après,
1 requin,
6 pleines lunes,
12 pays,
41 îles,
81 mouillages différents et autant de plages
99 crises des enfants pour les devoirs (peut-être un peu moins)
158 nuits à bord et presque autant de couchers de soleil,
1841 milles nautiques,
1000000 de poissons tropicaux, poissons-volant, tortues, raies, dauphins,
et un nombre incalculable de moments inoubliables,
nous revenons sur terre.

Il y a aujourd’hui exactement un an, le capitaine fêtait ses 40 ans et nous annoncions notre départ sur un voilier dans les Antilles.
Ouf ! Quelle année !
Si c’est ça la quarantaine… (Yaaaahouuuuuu !)

Nous aurions volontiers prolongé le voyage de quelques années. D’autant plus que la plupart des bateaux que nous avons rencontrés dans les dernières semaines, poursuivaient simplement leur route vers des régions moins à risque de globe. Certains partaient pour l’Amérique du sud, d’autres pour le Pacifique via le canal de Panama, et d’autres encore retournaient simplement chez eux, en Méditerranée. À chaque fois, leurs plans de route nous ont foutu le cafard. Et nous qui croyions avoir l’esprit d’aventure en partant six mois…

Après un voyage d’une telle intensité, le retour au métro-boulot-dodo nous fait un peu peur. Toutefois, nous sommes allés jusqu’au bout et nous sommes prêt à revenir. Les enfants ont tellement hâte de retrouver les amis. Pour nous, c’est aussi de retrouver le confort de la maison et la petite sécurité paisible de la vie dans le 450. C’est la fin d’un grand rêve, mais déjà les germes de plusieurs autres sont apparus (450méditerranée ou mieux encore 450pacifique ;-). C’est plus fort que nous, nous carburons aux projets. Et à quarante ans, la vie est trop courte pour ne pas la vivre avec toute l’intensité qu’elle mérite.

Pour ceux qui vont s’ennuyer de leur rendez-vous hebdomadaire avec le 450antilles, un livre, une cassette vidéo et un DVD du voyage sortiront bientôt dans toutes les bonnes pharmacies… et à la boutique de Radio-Canada.
Rassurez-vous, nous ne vous ferons pas ce coup là.

Nathalie, Bruno, Julien, Antoine








FIN

jeudi 3 mai 2007

Une leçon d’humilité

Passage de St-Barth à Antigua – 95 milles nautiques

Bruno

Les plans de la Capitaine en second étaient de quitter St-Barth en direction de Barbuda, y passer trois ou quatre jours pour ensuite descendre à Antigua. Toutefois, puisque qu’en voilier les plans de route sont intimement liés aux humeurs d’Éole, il aurait été possible mais plus difficile de rallier Barbuda, à tout le moins selon les prévisions des jours à venir. Le fait est qu’en mer, il n’y a pas que le vent qu’il faille remonter au près, il y a aussi les vagues. Si on les aborde de manière trop directe, le bateau monte la vague puis se rabat très durement dans le creux suivant, perdant le trois quart de sa vitesse. Le GPS affiche alors des vitesses de 2 à 4 nœuds, jusqu’à la prochaine vague qui les ramène à nouveau à 2 nœuds et ainsi de suite. Or, un plan de route au près sur un voilier de 40 pieds se fait avec une vitesse moyenne minimale de 5 nœuds. En dessous de 5 nœuds, surtout s’il y a du vent, le temps s’étire et l’équipage fatigue. Et dans nos longues traversées, les enfants ne manquent pas une occasion de nous rappeler que le bateau ne va pas assez vite. Ils savent que le GPS peut nous donner sur demande et à la minute près, l’heure estimée d’arrivée. Et la question nous revient au quart d’heure : «Dans combien de temps on arrive ? Les plans ont donc été revisités en fonction du vent pour une traversée directe sur Antigua, se disant qu’il serait toujours possible et assez facile de faire un saut à Barbuda à partir d’Antigua.

Jusqu’ici, nous avons préféré voyager de jour en minimisant les heures de navigation en pleine nuit. En partant autour de 4 heures du matin, nous avons presque toujours réussi à arriver à destination avant la nuit. Mais, malgré la pêche, les vols de poissons-volant, les rencontres occasionnelles de dauphins, les grains et les arcs-en-ciel qui viennent distraire et agrémenter la route, les enfants trouvent toujours les journées de traversée très longues. Nous leurs avons même permis de regarder un film alors que nous étions vent arrière en direction des Îles Vierges Britanniques.

Toutefois, depuis plus d’un mois, j’avais repéré la prochaine pleine lune au calendrier qui, selon nos plans, arrivait à un jour près de la traversée qui nous amènerait à Barbuda ou à Antigua. J’avais tranquillement commencé à vendre à l’équipage l’idée d’une navigation de nuit à la pleine lune. Il en serait beaucoup plus facile pour les enfants qui pourraient tranquillement dormir alors que j’assurerais à la barre la majeure partie de la nuit, pour ne laisser que quelques heures à Nathalie au petit matin. Or, la veille du départ, le 30 avril, une sympathique rencontre avec l’équipage du voilier Dalaï, une petite famille de vrais navigateurs que nous avions rencontrés lors de notre première semaine à Antigua, est venue confirmer l’option d’une traversée de nuit. Bruno (lui-aussi), Carmen et Aladin nous ont raconté combien il était facile et agréable de naviguer à la belle étoile, et encore mieux à la pleine lune. Leur plan était de quitter le soir même St-Barth pour Antigua alors que le notre prévoyait un départ au petit matin du lendemain. À peine revenu à bord de Lucky Lady, l’affaire était réglée, nous partions le soir même pour Antigua. J’aurais bien proposé à Dalaï une traversée en duo, mais avec ses 17 mètres de long et ses 157 mètres carrés de voile, nous n’aurions pas été ensemble plus d’une demi-heure. Mon meilleur temps de parcours étant estimé à 15 heures, alors que le sien était de 12 heures. D’ailleurs pour ceux que cela intéresse, on peut louer un séjour à bord du Dalaï, un voilier course-croisière exceptionnel, entièrement construit par son équipage. Il faut voir la qualité de la construction et les détails de finition qu’ils y ont mis. Juste pour le plaisir de voir un bateau et une famille de rêve, faites un saut au www.jolibateau.com.

Durant l’après-midi nous faisons un saut de puce à la baie de Colombier. Le temps d’une petite baignade, de préparer l’intérieur du bateau, de monter l’annexe et de faire une petite sieste. 18h00, l’eau des pâtes boue à gros bouillons. 18h30, l’ancre a repris sa place sur le davier et nous nous lançons. Nous prendrons le souper en route, sous le vent de St-Barth.

Météo France annonce des vents Est-Sud-Est de 10 à 15 nœuds, localement à 20 nœuds, avec grains isolés pouvant atteindre 35 nœuds. Une mer modérée en Caraïbes, et agitée en Atlantique et dans les passages avec des creux de 1,5 à 2 mètres. Somme toute une météo assez normale pour la période, semblable à 80% des conditions rencontrées au cours des 3 derniers mois. Mieux encore, Windguru prévoit un vent Est, ce qui serait encore mieux pour la route à suivre et une couverture nuageuse presque nulle. Si le vent demeure assez haut, près de l’Est, nous devrions pouvoir faire une route assez proche de la route idéale directe.

À peine sortie de la protection de St-Barth, le vent qui souffle déjà à 15 nœuds s’établit plus bas que prévu, autour du Sud-Est. Par contre le ciel est magnifique. La lune, qui est pratiquement pleine, éclaire la mer de tous ses feux. On se croirait presque en plein jour, tellement la visibilité est bonne. Nous sommes tous excités et emballés par l’expérience. Entre 21h00 et 22h30, quelques petites averses viennent traverser le ciel, mais rien de vraiment sérieux. Les enfants dorment déjà depuis un bon moment sur le lit que nous avons aménagé dans le carré central où il est plus facile d’allez et venir que dans les cabines arrières. 23h00, Nathalie se décide à les rejoindre pour une nuit qui s’annonce presque parfaite…

23h30, le vent et la mer monte d’un cran. Les vagues qui jusqu’ici nous faisaient gentiment monter et descendre, commencent à cogner un peu plus dur. De temps en temps une vague un peu plus grosse vient m’éclabousser au visage. Nous naviguons avec un ris dans la grand-voile et plein génois et le bateau se comporte plutôt bien. Malgré les conditions un peu plus grosses que j’aurais imaginées, je maintiens une vitesse moyenne de 6 nœuds. J’aperçois alors au loin une bande nuageuse beaucoup plus dense qui avance tranquillement vers nous.

23h45, Nathalie sort dehors et me lance d’une petite voix légèrement étranglée par la peur, «Mais qu’est-ce qui se passe ??? De l’intérieur, on a l’impression que la bateau va se briser à chaque fois que nous franchissons une vague.» Je me rappelle alors que la peur est contagieuse. Et que la simple question de Nathalie sème en moi un doute qui me saisi au ventre. Aurais-je mal évalué la situation ? Je réponds d’une voie que j’essais de garder la plus rassurante possible que tout va bien même si la mer est plus difficile que prévu. Pour diminuer un peu la gite, je prends un deuxième ris dans la grand-voile, mais la mer nous envoie des vagues décousues et très abruptes qui continuent de nous frapper durement.

24h00, la nuit se referme sur nous. La lune n’arrive plus à percer l’épaisse masse nuageuse qui a maintenant complètement recouverte le ciel. Le vent continu de fraîchir et la mer de grossir. Une vague sur dix est remplie d’écume et déferle lourdement sur le franc-bord du bateau. Malgré le dodger, le bimini et les imperméables, nous sommes trempés jusqu’aux os. Nous avons tous les deux attachés nos harnais de sécurité au cockpit et Nathalie, silencieuse, affiche un regard qui n’annonce rien de bon. On associe généralement le mal de mer à 5 conditions gagnantes qu’on appelle les 5F : la faim, la fatigue, le froid, la frousse et le fuel. Nathalie est victime de la fatigue mais surtout de la frousse. Une fois les pâtes du souper péniblement rendu à la mer, Nathalie s’accroche tant bien que mal à la table du cockpit pour une autre heure de brasse camarade.

01h00, la mer monte encore d’un cran. Cette fois le bateau ne porte plus qu’un demi-foc et une grande voile doublement arrisée à peine bordée. Nous avançons maintenant péniblement à 3 nœuds à cause des vagues. La peur commence à se frayer un chemin en moi. Du cockpit, je peux voir les enfants qui dorment entrelacés à l’intérieur et qui se font bousculés à chaque fois que le bateau retombe d’une vague un peu trop abrupte. J’ai le cœur qui me serre dans la poitrine. Je supplie le ciel pour qu’ils ne se réveillent pas. Ils seraient certainement malades eux-aussi. J’ai peur d’entrevoir une fatalité de fin de parcours. De celles qui arrivent quand on a poussé sa chance un peu trop loin pas excès de confiance.

01h30, j’annonce à Nathalie que nous n’allons plus à Antigua mais plutôt à Nevis. J’ai moi-aussi les entrailles qui veulent me sortir du corps. La fatigue, le froid et la frousse commencent à avoir raison de moi. Mon cerveau tourne à cent milles à l’heure en multifonction. Une partie essaie de contrôler le bateau, une autre de rassurer Nathalie et une autre s’occupe de contenir ma propre peur. Une petite voix intérieure rationnelle essaie tant bien que mal de me rappeler quelques phrases appropriées à la situation : «Les limites du bateau sont bien supérieures à celles de la majorité des navigateurs de plaisance», «Le plus grand danger pour un voilier ce n’est pas la mer, mais la terre». «Dans la tourmente, ne vous fiez pas à la fausse impression de sécurité que vous procure cette bonne vieille terre». J’ai bien dû ressortir à vingt reprises la carte de Nevis, mais dans les conditions de la mer, toutes les approches m’apparaissaient risquées. Après une autre heure à jongler avec les options possibles et à m’ordonner de ne pas succomber au mal de mer, j’explique à Nathalie ma décision de continuer la route vers Antigua. C’est qu’un très large banc de haut-fond borde la côte Sud de Nevis et j’ai peur que les vagues très grosses et abruptes que nous connaissons maintenant ne s’y retrouvent encore plus grosses et déferlantes. Et de toute manière, il nous restait encore 3 heures pour espérer se mettre à l’abri de Nevis, alors autant les faires en direction d’Antigua.

03h00, le vent continu de souffler de plus belle et je n’ai jamais trouvé Lucky Lady aussi petit et fragile. J’ai l’impression que la mer est en train de faire une bouchée de nous. Je démarre le moteur, j’enroule ce qu’il reste de génois et ne conserve que la grande voile arrisée. Nathalie est couchée en petite boule depuis une bonne heure à côté de moi et les enfants dorment toujours miraculeusement (et un peu aidés par l’effet des Gravol). J’ai le cœur qui s’accroche aux parois de ma gorge, les yeux qui brûlent à cause du sel et de la fatigue et j’ai les rotules que sautillent de froid et de peur. J’explique à Nathalie qu’il est impératif que je ferme les yeux quelques minutes le temps de retrouver mes esprits. Croyez-le ou non, j’ai réussi à dormir 10 minutes assis dans le cockpit au grand vent et aux coups d’embrun alors que le bateau cognait presque à chaque vague et que le pilote automatique me remplaçait à la barre. 10 petites minutes qui ont été pour Nathalie très éprouvantes, mais qui furent miraculeuses pour moi. En me réveillant, le courage avait repris possession de mon corps et Nathalie a pu se remettre à l’horizontal près de moi et somnoler un autre deux heures.

05h30, Eureka! La lumière du jour apparait enfin à l’horizon. Cette fois le sentiment de victoire chasse définitivement celui de la peur. Même la mer semble perdre de sa force en voyant l’astre du jour se mettre en place.

06h30, les enfants se réveillent reposés et étonnés de constater à quel point cette fois-ci la traversée a passé vite…«wow, il ne reste que 25 milles!»

Nous arrivons finalement à destination à 13h00 le 1er mai, après 18,5 heures de navigation. Nous sommes littéralement épuisés, un peu à cause de la nuit blanche, mais surtout à cause de la peur que nous avons combattue. Le bateau est un foutoir total. Pratiquement tout le contenu des espaces de rangement ouverts de chaque pièce du bateau s’est retrouvé au sol.

Nous nous sommes réveillés à 19h00, le corps lourd comme si nous avions eu à affronter durant 20 rounds un adversaire plus fort que nous. Nathalie me dit alors : «je crois que je n’ai plus envie d’aller à Barduba…»

Bilan, il y a eu beaucoup plus de peur que de mal. Les enfants ont passé une bonne nuit et le bateau est intact. Mais je suis un peu déçu de ma réaction. Je me suis vraiment senti seul au monde avec la vie de 3 personnes entre mes mains. Alors qu’en réalité, pour un marin d’expérience, la nuit que nous avons passée aurait été certes mouvementée, mais pas au point de se sentir en situation de survie. Marin d’eau douce va!

J’avais très hâte de revoir l’équipage de Dalaï pour connaître leurs impressions de la même nuit de navigation. Nous les avons retrouvés quelques jours plus tard à Falmouth Harbour. Bruno, fort de ses très nombreuses années d’expérience comme skipper professionnel en mer m’a confié que la nuit avait été mouvementée pour lui aussi. La force du vent l’ayant obligée à prendre plusieurs ris durant la traversée. Il m’a aussi expliqué que c’était souvent le cas au vent de Nevis et St-Kitts, d’avoir à faire face à une mer difficile, et encore plus en naviguant au près.

C’est à croire qu’en mer, la seule façon de repousser ses limites, c’est d’avoir à les affronter à la dure. Une amie nous écrivait récemment : «Ce que tu fuis, te suit; ce à quoi tu fais face, s’efface.» Avons-nous réussi à effacer toutes les réticences que nous avions à naviguer de nuit? Certainement pas. Mais aujourd’hui, en naviguant au près dans une mer formée avec des vents qui atteignaient 25 nœuds, j’ai aperçu dans notre jeune équipage une confiance et une solidité que je n’avais encore jamais vu.

mercredi 2 mai 2007

L’heure de vérité II

Wow ! Les résultats sont vraiment impressionnants. Vous êtes beaucoup plus nombreux que nous l’aurions cru. Voici le décompte officiel :

82 personnes ont répondu à L’heure de vérité et 60 autres nous ont directement écrit à notre adresse personnelle. Donc un total d’au moins 142 personnes nous lisent sur une base plus ou moins régulière.

Une chance que nous avons gardé ce sondage pour la fin du voyage. Si nous avions su que autant de personnes nous lisent, nous aurions été trop intimidés pour écrire un seul mot. Merci de votre indulgence pour les nombreuses fautes de grammaire et d’orthographe et pour la redondance du sujet.

Sébastien, crois-tu qu’on puisse recommander 450antilles à Molson ou à McDo comme placement publicitaire très très très niché ? ;-)

P.S. : Pour ceux qui n’ont pas eu le courage ou le temps de nous envoyer un commentaire sur L’heure de vérité, il est encore temps de le faire sur L’heure de vérité II. Nous garderons vos précieux «Moi» en souvenir de ce voyage.